L’Acte uniforme du 10 Avril 1998 est la loi applicable en matière de recouvrement des créances et des voies d’exécution dans l’espace OHADA. Le législateur OHADA n’a pas défini les voies d’exécution. Toutefois, nous pouvons définir les voies d’exécution comme des moyens légaux mise à la disposition d’un créancier pour contraindre son débiteur défaillant à s’exécuter. Elles constituent un remède efficace lorsque l’obligation n’est pas volontairement exécutée. Le droit des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution harmonisé offre au créancier plusieurs moyens légaux pour recouvrer sa créance parmi lesquels figure la saisie attribution des créances.
En effet, la saisie attribution des créances est définie par le Professeur Ndiaw DIOUF, comme la voie d’exécution par laquelle un créancier, muni d’un titre exécutoire, bloque entre les mains d’un tiers les sommes d’argent qui sont dues par celui-ci à son débiteur en vue de se les faire attribuer¹. Elle fait intervenir dans son exécution trois personnes : le créancier saisissant, le débiteur saisi et le tiers saisi. Sa particularité en tant que procédure c’est qu’elle fait intervenir une personne qui n’est pas partie à l’acte juridique source de la créance impayée : le tiers saisi. Le tiers saisi désigne la personne qui détient des sommes d’argent appartenant au débiteur saisi.
Ainsi, pour obtenir paiement de sa créance entre les mains d’un tiers, le créancier doit respecter un certain nombre de conditions (I). La réunion de ces conditions met le tiers saisi dans une situation de véritable débiteur qui demeure soumis à des obligations (II).
LES CONDITIONS DE MISE EN CAUSE DU TIERS SAISI
Le créancier qui entend pratiquer une saisie attribution des créances doit réunir certaines conditions. Les unes tiennent au fond (A) les autres à la forme (B).
A- LES CONDITIONS DE FOND
Les conditions de fond sont relatives aux caractères de la créance dont l’exécution est poursuivie par le créancier. En effet, l’article 153 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution subordonne la validité de la saisie attribution de créance à l’existence d’un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible. Ainsi, pour pouvoir obtenir le paiement de sa créance entre les mains du tiers saisi par le biais d’une saisie attribution des créances, le créancier est tenu de se munir d’un titre exécutoire tel que prévu à l’article 33 de l’AUVE. Le titre exécutoire doit ensuite constater que la créance dont le saisissant réclame le paiement est certaine (créance dont l’existence est incontestable et actuelle), liquide (créance dont le montant en argent est connu et déterminé) et exigible (créance dont le titulaire peut immédiatement exiger le paiement).
B- LES CONDITIONS DE FORME
Muni d’un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible, le créancier devra procéder à la saisie des sommes d’argent détenues entre les mains du tiers et appartenant à son débiteur, par signification d’huissier de justice.
En effet, il faut rappeler que la condition de forme exigée pour la saisie attribution des créances est l’acte de saisie : l’exploit de saisie attribution. L’acte de saisie doit comporter sous peine de nullité les cinq (5) mentions énumérées à l’article 157 de l’AUVE, à savoir :
1) l’indication des noms, prénoms et domiciles des débiteur et créancier ou, s’il s’agit de personnes morales, de leurs forme, dénomination et siège social ;
2) l’énonciation du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée ;
3) le décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus, majorés d’une provision pour les intérêts à échoir dans le délai d’un mois prévu pour élever une contestation ;
4) l’indication que le tiers saisi est personnellement tenu envers le créancier saisissant et qu’il lui est fait défense de disposer des sommes saisies dans la limite de ce qu’il doit au débiteur ;
5) la reproduction littérale des articles 38 et 156 ci-dessus et 169 à 172 ci-dessous.
L’acte indique l’heure à laquelle il a été signifié.
La réunion de ces conditions engendre à l’égard du tiers saisi une véritable situation de sujet passif.
LA SITUATION JURIDIQUE DU TIERS SAISI DANS LA SAISI ATTRIBUTION DES CRÉANCES
La situation juridique du tiers saisi se caractérise essentiellement par les obligations dont il est tenu aux termes de la procédure (A). Mais, il faut rappeler que le manquement ou l’inexécution des obligations mises à sa charge l’expose à des sanctions pécuniaires (B).
A- LES OBLIGATIONS DU TIERS SAISI
Le législateur communautaire a mis à la charge du tiers saisi une obligation de déclaration et de communication (1) et dans certains cas une obligation de paiement (2).
- L’obligation de déclaration et de communication
Selon l’article 156 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution « Le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures. Il doit communiquer copie des pièces justificatives ». L’article 156 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution impose au tiers saisi de déclarer au créancier saisissant l’étendue de ses obligations à l’égard du tiers.
De manière générale, l’obligation d’information et de communication qui pèse sur le tiers saisi l’oblige à porter à la connaissance du saisissant le contenu sa relation contractuelle avec le débiteur saisi, notamment, le montant qu’il dispose pour le compte de ce dernier ainsi que les modalités qui affectent leur obligation. Par exemple, pour un locataire, l’obligation d’information et de communication consiste à communiquer au saisissant le montant des loyers qu’il paye à son bailleur, les reçus de paiement de ces loyers ainsi le contrat de bail si celui-ci est écrit.
Cette obligation est d’ordre public, ce qui veut dire le tiers saisi est tenu de cette déclaration même en présence d’une clause de confidentialité².
L’obligation de communication implique implicitement le devoir de collaboration. En effet, « les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures en vue de l’exécution ou de la conservation des créances. Ils doivent y apporter leur concours lorsqu’ils en sont légalement requis³ ». La jurisprudence de la CCJA est assez claire sur ce point et considère « le procès-verbal établi par l’huissier après avoir vainement tenté de délivrer le procès-verbal de saisie attribution au siège d’une société, ainsi que l’ordonnance de référé enjoignant à ladite société de recevoir l’acte sous astreinte établissent indiscutablement qu’il y a obstacle à l’exécution et que l’article 38 est applicable⁴ ».
- L’obligation de paiement
Le but de la saisie attribution des créances est de permettre au créancier de se faire attribuer les sommes d’argent détenues par le tiers pour le compte de son débiteur défaillant.
Selon l’article 164 de l’AUVE, « Le tiers saisi procède au paiement sur présentation d’un certificat du greffe attestant qu’aucune contestation n’a été formée dans le mois suivant la dénonciation de la saisie ou sur présentation de la décision exécutoire de la juridiction rejetant la contestation.
Le paiement peut également avoir lieu avant l’expiration du délai de contestation si le débiteur a déclaré par écrit ne pas contester la saisie ». En effet, l’obligation de paiement consiste pour le tiers saisi à procéder au paiement des sommes dont il détient pour le compte du débiteur saisi au créancier et cela sur présentation d’un certificat du greffe attestant absence de contestation dans le délai légal ou présentation de la décision exécutoire rejetant la contestation. Le paiement est également dû lorsque le débiteur renonce par écrit à son droit de contester la saisie pratiquer sur ses avoirs.
B- LES SANCTIONS DE L’INEXÉCUTION DES OBLIGATIONS DU TIERS SAISI
Les articles 38 et 156 l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution organisent le régime de la responsabilité du tiers saisi dans la saisie attribution des créances. Ces dispositions dégagent clairement les faits qui peuvent engager la responsabilité du tiers saisi (1) et la nature des sanctions auxquelles il s’expose (2).
- La faute du tiers saisi
Les faits constitutifs de fautes commises par le tiers saisi sont les conséquences directes du non-respect par lui de ses obligations.
L’article 156, alinéa 2 in fine, de l’AUVE énonce que « toute déclaration inexacte, incomplète ou tardive expose le tiers saisi à être condamné … ». Il s’agit d’une déclaration inexacte, incomplète ou tardive. Par exemple le cas du locataire qui déclare un montant des loyers différents de ce qu’il paye réellement au bailleur ou encore qui refuse de déclarer à l’huissier sur le champ ou, au plus tard, dans les cinq jours si l’acte n’as pas été reçu par lui.
De même, le tiers doit s’abstenir de tout acte de nature à empêcher la saisie⁵. C’est ainsi qu’un arrêt de la CCJA du 7 juin 2012 a décidé qu’« a dressé un obstacle à l’exécution entrainant l’application de l’article 38 de l’AUVE une banque entre les mains de laquelle une saisie-attribution de créance est dirigée et qui, en se prévalant d’une ordonnance de sursis du premier président de la cour d’appel, sort de son rôle passif de tiers saisi pour introduire une procédure tendant à obtenir du président du tribunal une autorisation de déposer la somme saisie dans compte séquestre⁶ » .
- La nature de la sanction
Le législateur OHADA condamne le tiers saisi qui viole les obligations énoncées aux articles 38 et 156 de l’AUVE au paiement des causes de la saisie, autrement dit le paiement de ce que le débiteur saisi devrait payer au saisissant et également au paiement des dommages-intérêts. Cette sanction pécuniaire trouve son fondement à l’article 38 in fine, de l’AUVE qui précise que « le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie peut également, et sous les mêmes conditions, être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf son recours contre le débiteur ». Cette disposition est complétée par l’article 156, alinéa 2 in fine, qui précise également que « toute déclaration inexacte, incomplète ou tardive expose le tiers saisi à être condamné au paiement des causes de la saisie, sans préjudice d’une condamnation au paiement de dommages-intérêts ».
Au-delà du paiement des causes de la saisie et des dommages-intérêts énoncés aux articles 38 et 156, alinéa 2 in fine, précité, le législateur communautaire consacre une autre règle de condamnation du tiers saisi. Aux termes de l’article 168 de l’AUVE, « en cas de refus de paiement par le tiers saisi des sommes qu’il a reconnu devoir ou dont il a été jugé débiteur, la contestation est portée devant la juridiction compétente qui peut délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi ». Il résulte clairement des termes de l’article 168 cité ci-dessus que le tiers saisi qui oppose un refuse de paiement des sommes saisies peut être condamné par la juridiction compétente et celle-ci peut même délivrer un titre exécutoire contre lui.
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1° Ndiaw DIOUF, Professeur à l’UCAD, « commentaire de l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution du 10 avril 1997 », Juriscope, 2016, p. 1048.
2° Le secret professionnel n’est pas opposable à l’huissier de justice ou à l’agent d’exécution qui agit conformément aux dispositions de l’article 153 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. De ce fait, le banquier qui communique l’état de la situation du compte de son client contre lequel une saisie attribution des créances est pratiquée ne viole pas son devoir de secret bancaire vis-à-vis de celui-ci.
3° V. article 38 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution du 10 avril 1998.
4° CCJA, 2ème ch., arrêt n° 006/2006 du 09 mars 2006, société indus-chimie c/Mme MRP et autres : Ohadata J-07-13.
5° V. article 38 de l’AUVE.
6° CCJA, arrêt n° 061/2012 du 07 juin 2012, Rec. CCJA n° 18, 2012, p. 200 ; Ohadata J-14-173.
Auteur: Maître Cece Mathias Loua
Président de l’Association Guinéenne des Juristes d’Affaires